Que faire devant une maladie infectieuse ano-rectale

sexuellement transmissible ?

 

Les maladies infectieuses sexuellement transmissibles (MST) sont fréquentes dans notre société et affectent, le plus souvent, les organes uro-génitaux. Toutefois, elles peuvent aussi concerner la région ano-rectale où elles sont moins connues alors que leur fréquence, après une nette régression liée aux précautions prises devant l'épidémie du SIDA, est en train de remonter. Il s'agit d'un problème majeur du fait des interactions entre ces maladies et l'infection par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) imposant, au-delà de la prise en charge diagnostique et thérapeutique des consultants, le dépistage des sujets contacts et une démarche de prévention fondamentale.

< Quels terrains ? Quels facteurs de risque ?

Les MST ano-rectales sont classiquement considérées comme l'apanage des homosexuels masculins, réalisant le Gay bowel syndrome décrit en 1977, mais elles peuvent également concerner les hétérosexuels. Elles ont été rapportées au décours de pratiques sexuelles diverses : contact oro-anal, coït anal, fellation, fist-fornication, etc.

Des partenaires multiples, l'absence d'usage de préservatifs, qui semble encore fréquente, peut-être sous l'emprise de l'alcool ou de certaines drogues, le caractère traumatique des rapports, le tourisme sexuel dans les pays en voie de développement sont les facteurs de risque principaux.

En outre, il existe entre ces MST et le VIH une potentialisation en matière de risque de contamination et de gravité. Une personne ayant une MST ano-rectale a un risque nettement augmenté de contracter le VIH dont l'infection risque d'être encore plus évolutive, et une personne infectée par le VIH aura des lésions ano-rectales plus sévère.

 


Causes des ulcérations de la marge anale chez l'homosexuel

 


Dans le cadre de l'infection par le VIH :

 


Une personne infectée par le VIH aura des lésions ano-rectales plus sévères.

< La consultation

Elle nécessite un climat de confiance important imposant une attitude neutre, bienveillante et une grande diplomatie car la situation est embarrassante pour le patient, l'absence du partenaire habituel étant parfois nécessaire. En outre, il faut déculpabiliser le patient et le responsabiliser afin d'obtenir une prise en charge satisfaisante à tous les niveaux : examens complémentaires, traitement du patient et des partenaires, prévention.

Il faut préciser les pratiques sexuelles, le nombre de partenaires récents, la date des derniers rapports, l'utilisation ou non de préservatifs, les antécédents de MSR, une automédication. Il faut retrouver le partenaire, ce qui n'est pas toujours possible, et le prendre en charge sans violer le secret professionnel, ce qui n'est pas sans poser des problèmes.

Un examen proctologique minutieux et doux doit être systématiquement associé à un examen général complet en insistant sur la recherche d'adénopathies inguinales dont l'existence est très évocatrice de MST ano-rectale.

< Quels aspects cliniques ?

Les lésions relèvent le plus souvent d'une transmission directe après pénétration anale mais peuvent également être secondaires à une contamination orale ou par contiguïté à partir de lésions coliques ou vulvo-vaginales.

Le plus souvent, la symptomatologie est aiguë et bruyante sous la forme d'un syndrome rectal non spécifique, parfois fébrile. A l'examen, les lésions rectales sont diverses à type d'érythème, œdème, ulcérations, dépôts purulents, etc. Dans d'autres cas, ce sont des lésions subaiguës ou chroniques de la marge anale et/ou du canal anal, à type de végétations ou ulcérations, responsables de prurit, douleurs, écoulement. En outre, divers signes fonctionnels, peuvent révéler une atteinte associée colique, uro-génitale, cutanée, articulaire, etc.

Il faut insister sur le fait que de nombreux patients sont asymptomatiques mais très contagieux.

< Quels moyens diagnostiques ?

La multiplicité de ces MST, leur caractère souvent polymicrobien, l'existence de formes asymptomatiques ou atypiques rendent souvent indispensable le recours aux examens complémentaires.

Les divers prélèvements locaux (cytologie sur lame, examen direct, mise en culture, etc.) permettent la mise en évidence du germe. Il faut éviter l'administration préalable d'antibiotiques ou de lavement évacuateur, l'application locale de désinfectants ou l'utilisation de lubrifiants antiseptiques. Il faut préciser sur l'ordonnance la nature du prélèvement et les germes recherchés. Le recours à un laboratoire spécialisé est souhaitable car les multiples germes en cause sont fragiles, d'identification difficile, imposant souvent un transport rapide dans un milieu de culture adapté, nécessitant une technique rigoureuse et des ensemencements sur milieux spéciaux.

Il faut préciser sur l'ordonnance la nature du prélèvement et les germes recherchés.

Si le bilan s'avère négatif, il faut compléter par une coproculture, un examen parasitologique des selles, des endoscopies avec biopsies, des hémocultures, etc.

Les sérologies permettent un diagnostic indirect mais ne remplacent pas, quand elle est possible, l'identification du germe. En outre, leur interprétation est délicate car il faut tenir compte des réactions croisées, des faux-positifs, des techniques différentes d'un laboratoire à l'autre, de la variabilité de la réponse immune, de la persistance d'anticorps résiduels après guérison, de la présence prolongée, d'IgM après la primo-infection ou dans des réinfections. Toutefois, la sérologie du VIH doit être systématique et répétée 2 à 3 mois après le contage.

< Quels agents infectieux en pratique courante ?

Il faut d'emblée insister sur la fréquente polycontamination amenant à rechercher plusieurs germes et instituer des traitements en visant plusieurs en même temps.

Les plus fréquents

= Human papilloma virus

Virus à ADN, il en existe plus de 60 types dont certains auraient un caractère oncogène exposant à un risque accru de carcinome épidermoïde anal. Responsable de la MST la plus fréquente chez l'homosexuel, il est souvent associé aux autres infections. Les contaminations non sexuelles sont possibles mais l'atteinte intracanalaire est en principe liée au coït anal. L'incubation varie de 2 à 30 mois. A l'examen, les condylomes acuminés ou végétations vénériennes ou "crêtes de coq" sont des lésions blanchâtres ou rosées, le plus souvent exophytiques, parfois planes et difficiles à voir, l'application d'acide acétique permettant de mieux les distinguer, en nombres, tailles et formes variables, situées au niveau de la marge et/ou du canal anal, parfois sus-pectinéales, et sans adénopathie inguinale associée. Il est recommandé d'examiner le ou les partenaires, notamment la compagne au niveau génital.

L'aspect caractéristique permet un diagnostic clinique. Toutefois, le risque de dégénérescence, notamment chez le patient infecté par le VIH, incite à faire des biopsies en cas de lésion suspecte. Le typage, par technique d'hybridation moléculaire et amplification génique, ne relève pas de la pratique courante.

Le traitement repose sur divers modes de destruction dont la multiplicité souligne leur imperfection : topiques à base de podophylline ou 5-fluorouracile, électrocoagulation, laser, photocoagulation, cryothérapie, excision chirurgicale, etc. Il faut souligner la nécessité du suivi prolongé, lié au taux élevé de récidive survenant chez 30 à 60 % des patients. Le traitement préventif de la récidive par injections intramusculaires d'auto-antigènes préparés à partir de lésions virales ou d'interféron recombinant est à l'étude. Une surveillance à long terme semble souhaitable en raison du risque oncogène.

= Herpès simplex virus

Virus à ADN, il en existe deux types ne comportant pas de différence clinique : le type 1 transmis par contact oro-anal et le type 2 transmis par pénétration anale.

C'est une MST très fréquente et les porteurs asymptomatiques sont nombreux.

Les porteurs asymptomatiques de l'Herpes simplex virus sont nombreux.

Sur le plan clinique, il faut distinguer la primo-infection, dont la durée d'incubation varie de 4 à 21 jours, de la récurrence. La primo-infection, en général asymptomatique, peut être bruyante, sous la forme d'une atteinte marginale ou ano-rectale avec des ulcérations douloureuses, l'éruption vésiculaire initiale ayant déjà disparu au moment de l'examen, associées à de la fièvre, une dysurie, une constipation, des paresthésies sacrées et des adénopathies inguinales bilatérales. Les récurrences sont moins symptomatiques, épargnant le rectum, voire asymptomatiques, mais très contagieuses.

Le diagnostic ne repose pas tant sur l'observation de l'effet cytopathogène du virus (cytodiagnostic de Tzanck ou coloration de Papanicolaou) que sur la mise en évidence d'antigènes viraux par méthode ELISA ou immunofluorescence permettant un diagnostic rapide avec une fiabilité plus satisfaisante. La culture virale, méthode la plus fiable, nécessite deux ou trois jours d'attente. La sérologie est peu utile en pratique.

Molécule de référence l'acyclovir par voie orale (per os : PO), à raison de 200mg 5 fois par jour pendant 5 à 10 jours, pourrait réduire la durée des poussées, les applications locales semblant moins efficaces. Dans les formes sévères, il faut utiliser la voie veineuse jusqu'à guérison. En cas de récurrences trop fréquentes, certains proposent un traitement préventif continu par acyclovir : 200 mg PO 2 à 4 fois par jour.

= Poxvirus

C'est un virus transmis par contact corporel. L'incubation est de 3 à 6 semaines.

Il est responsable du molluscum contagiosum, petite lésion nodulaire, indolore, de quelques millimètres de diamètre, en général multiple, dont la pression fait sourdre un liquide grisâtre. Le diagnostic est clinique mais l'histologie est préconisée dans le cadre de l'infection par le VIH afin de faire la distinction avec une cryptococcose.

Le traitement repose sur le curetage ou la destruction par coagulation ou congélation.

= Neisseria gonorrhoeae

C'est un diplocoque intracellulaire à Gram négatif infectant fréquemment les homosexuels masculins. Il est en principe transmis par un coït anal passif mais l'autocontamination à partir d'une atteinte vaginale est possible. Il existe de nombreux porteurs asymptomatiques. La durée d'incubation est d'environ 5 à 7 jours.

Typiquement, il se manifeste la présence de sécrétions purulentes barrant la lumière rectale sur une muqueuse souvent normale. La périhépatite, les arthrites, la péricardite, la méningite, etc. Sont des manifestations moins fréquentes qu'il faut garder à l'esprit.

Le diagnostic peut être posé de façon fiable sur la clinique typique. Toutefois, l'examen direct après coloration de Gram et l'ensemencement sur milieux de culture spécifiques (Thayer-Martin) permettent d'isoler le germe et réaliser un antibiogramme. Plus récentes, les techniques de biologie moléculaire sont à la fois sensibles et spécifiques et les conditions de prélèvement sont moins exigeantes. Cependant, elles ne peuvent isoler le germe et faire un antibiogramme. La sérologie est inutile.

Le traitement, au mieux immédiatement prescrit, repose sur une infection intramusculaire unique de ceftriaxone 250 mg ou spectinomycine 2 g en cas d'allergie à la pénicilline, dont l'efficacité parfois spectaculaire en quelques heures conforte le diagnostic. Certains proposent une quinolone en dose unique PO (ciprofloxacine 500 mg ou ofloxacine 400 mg) car 10 % des souches sont résistantes à la pénicilline. Il est recommandé d'associer un traitement antibiotique couvrant une chamydiose fréquemment associée.

= Chlamydia trachomatis

Cet organisme intracellulaire, souvent associé au gonocoque, serait fréquent et sa durée d'incubation de 2 à 4 semaines.

Il se manifeste, le plus souvent, sous la forme d'une rectite érythémateuse avec adénopathies inguinales, liée aux sérotypes D à K. Les formes asymptomatiques sont également fréquentes.. Exceptionnelle en Europe, la maladie de Nicolas-Favre ou lymphogranulomatose vénérienne, liée aux sérotype L1, L2 et L3, réalise un tableau sévère de rectite sténosante et fistuleuse.

Le diagnostic difficile repose sur la mise en évidence du germe dans un prélèvement riche en cellules. La coloration de Giemsa ou l'immunofluorescence directe permettent la visualisation des inclusions cytoplasmiques. La détection directe de l'antigène chlamydien à l'aide d'anticorps monoclonaux ou par méthode ELISA, est une technique plus rapide mais moins fiable que la culture cellulaire sur cellules de Mac Coy ou Hela. Celle-ci reste la méthode diagnostique de référence et permet le typage mais elle est coûteuse et difficile, réservée à des laboratoires spécialisés. La sérologie n'est indiquée que dans les infections profondes et d'interprétation délicate.

Le traitement repose sur l'administration PO d'une cycline (doxycycline ou minocycline 100 mg, 2 fois par jour pendant 14 à 21 jours) ou d'une quinolone en dose unique (ciprofloxacine 500 mg ou ofloxacine 400 mg).

= Treponema pallidum

La syphilis est actuellement en recrudescence dans les pays industrialisés.

La phase primaire consiste en un chancre anal, exceptionnellement rectal, survenant entre 10 et 90 jours après le contact, sous la forme d'une ulcération rosée, typiquement marginale, latérale, unique, indurée et peu douloureuse, accompagnée d'une adénopathie inguinale unilatérale, les formes atypiques restant fréquentes. La cicatrisation du chancre se fait spontanément en trois à quatre semaines. Rarement, il s'agit d'une rectite œdémateuse. La phase secondaire survient 6 à 8 semaines après la disparition du chancre sous la forme de lésions anales, marginales, multiples, initialement érosives puis maculeuses et papuleuses, très contagieuses, en principe associées à d'autres lésions cutanéo-muqueuses. La phase tertiaire est exceptionnelle.

Le tréponème, très fragile, peut être mis en évidence par l'examen de sérosités à l'ultramicroscope à fond noir. Le diagnostic est rapide mais il existe des faux positifs et négatifs. En pratique, ce sont les sérologies (VDRL, THPAS, FTA, voire test de Nelson) qui permettent le diagnostic et le suivi.

Le traitement repose sur la benzathinepénicilline (2,4 millions d'UI) en une ou plusieurs infections selon la phase. Une cycline PO (doxycycline ou minocycline 100 mg, 2 fois par jour) ou l'érythromycine PO (500 mg, 4 fois par jour) pendant 14 à 30 jours sont des alternatives en cas d'allergie à la pénicilline.

Les moins fréquents

Certains germes sont rarement rencontrés en Europe (Haemophilus ducreyi, responsable du chancre mou, Calymmato bacterium granulomatis, de la donovanose, etc.), d'autres spécifiques de l'infection par le VIH (Cryptococcus neoformans, cytomégalovirus, mycobactéries atypiques, Isosporabelli, cyptosporidie) ou impliqués dans des atteintes coliques parfois étendues à la région ano-rectale (salmonelles, shigelle, Campylobacter jejuni, Entamoeba histolytica, etc.) ou anecdotiques : Neisseria meningitidis, mycoplasme, Enterobius vermicularis, Taenia saginata, Hymenolepis nana, Strongyloides stercoralis, etc. Sans oublier Phtirius pubis...

La syphilis, la gonococcie, la maladie de Nicolas-Favre et le chancre mou sont des maladies à déclaration obligatoire depuis 1942.